Article De Jean-Pierre Riou - 23.04.2020 www.europeanscientist.com
Il est aisé d’écrire l’histoire après qu’elle ait eu lieu, même s’il est trop tôt pour tirer le bilan de la gestion française de la pandémie qui nous frappe.
Mais on peut regretter l’absence d’une vision à long terme de la communauté internationale sur la façon de gérer une telle crise qui semble l’avoir prise au dépourvu. En effet, on connaît parfaitement les effets dévastateurs du passage chez l’homme d’un virus animal depuis que les chasseurs cueilleurs se sont sédentarisés à proximité de leurs élevages. La majorité de nos épidémies actuelles semblant d’ailleurs issues de leur « pentade de Pandore »[1] : bœuf, mouton, chèvre, porc et chien, alors devenus domestiques.
Pour Fatih Birol, Directeur exécutif de l’AIE, cette crise peut en révéler une autre, d’autant plus grave qu’elle doit être envisagée de façon simultanée : celle de la sécurité électrique.
RISQUE ÉPIDÉMIQUE : BILL GATES NOUS AVAIT PRÉVENU
En mars 2015, Bill Gates avertissait [2] que ce n’était plus du risque nucléaire que nous devrons nous protéger, ainsi que nous le faisions au siècle dernier, mais du risque épidémique qui serait assurément bien plus meurtrier. Et qu’il était inutile de préparer des abris et des réserves de nourriture, mais qu’il fallait nous organiser pour faire face à un virus qui serait d’autant plus dangereux qu’il pourrait être transmis par des porteurs asymptomatiques. Un corps de réservistes médicaux devant déjà être anticipé, régulièrement formé, et le matériel nécessaire, prévu.
La valse hésitation de la communication sur la nécessité du confinement ou de la généralisation du port du masque a stigmatisé un manque de préparation qui n’était pas une spécificité française.
RISQUE ÉNERGÉTIQUE : L’AVERTISSEMENT PASSÉ INAPERÇU
Au cœur de cette crise, un autre avertissement est passé totalement inaperçu.
Celui de Fatih Birol,[3] Directeur exécutif de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), qui attirait notamment l’attention sur le risque accru de blackout en période de faible consommation, telle que celle entraînée par les mesures de confinement. Pour la raison que la part d’énergies intermittentes est augmentée du fait de leur priorité sur le réseau et qu’on peut d’autant moins compter sur la flexibilité de la consommation industrielle pour rétablir l’équilibre que cette consommation est réduite.
Fatih Birol rappelle la dépendance croissante de nos sociétés à l’électricité et les conséquences d’une rupture d’approvisionnement au cours d’une crise telle qu’aujourd’hui. Et déplore le fait que les moyens pilotables restent indispensables pour satisfaire la consommation en l’absence de vent et de soleil alors que les productions intermittentes liées aux conditions météorologiques ruinent leur modèle économique. Il considère également qu’une situation telle que celle d’aujourd’hui est l’occasion d’observer les conséquences de l’augmentation prévue de la part des énergies renouvelables (EnR) puisque cette part est désormais induite par la baisse de consommation et la priorité des EnR sur le réseau.
LE PRIX NÉGATIF DU MWH : UNE PROUESSE DE L’ÉOLIEN
Comme un fait exprès, depuis le début du confinement l’éolien s’est surpassé dans les périodes de plus faible consommation entraînant, même en France, des prix négatifs du MWh les 5 premiers dimanches, et plongeant son cours à moins 75€/MWh le lundi de Pâques.
Dans le même temps, la production nucléaire, qui est flexible, contrairement à une idée reçue, s’est effacée à chaque fois jusque des niveaux historiquement bas.
Le graphique ci-dessous illustre ce suivi nucléaire par la ligne jaune du haut, tandis que l’éolien est en vert en dessous.
Inutile de préciser que ce dernier ne suivait que le bon gré du vent.
Source Eco2mix RTE)
Et c’est ainsi que le nucléaire a assuré à chaque instant l’impérieuse exigence de l’alimentation du pays, même en l’absence quasi complète du secours de l’éolien, mais devait s’effacer devant les caprices du vent en payant pour écouler sa production, alors que la rémunération de l’éolien est garantie par contrat.
Fatih Birol dénonce le risque de multiplication de tout petits producteurs d’EnR, notamment des particuliers qui ne disposent pas d’un niveau suffisant de cybersécurité.
Il attire enfin l’attention sur le point sensible que représente le réseau électrique, bien plus vulnérable que les conduites enterrées de gaz, et évoque le drame qu’aurait impliqué la simultanéité de conditions climatiques extrêmes comme les récents incendies californiens, ou autres tornades ou tempêtes de neige. Et préconise la sécurisation de ce réseau par l’enfouissement des lignes.
Or l’intermittence de production implique la multiplication de ces lignes, ainsi qu’il le souligne.
SANTÉ PUBLIQUE, POLITIQUE ÉNERGÉTIQUE ET EXPERTISE
Dans son avis du 6 avril 2020 [4], l’OMS considère qu’ « il n’y a actuellement aucune preuve que le port d’un masque (médical ou autre) par des personnes en bonne santé dans un cadre communautaire plus large, y compris le masquage communautaire universel, puisse les empêcher d’être infectées par des virus respiratoires, y compris COVID-19. »
Et force est de constater que les communications officielles ont été biaisées par le manque d’anticipation d’un plan clair, et que ses revirements ont altéré la confiance de la population.
Le propos n’est pas ici de savoir si cette population doit disposer ou non de masques, ni de soutenir que le nucléaire est préférable au gaz. Mais de suggérer que la politique énergétique, comme la politique sanitaire doit avoir une vision de long terme étayée par des experts indépendant et non privilégier des communications et mesures symboliques à l’occasion d’accord électoraux ainsi que l’a été conclue la fermeture de Fessenheim entre la première secrétaire du PS et son homologue écologiste [5]ou celle de Superphénix [6], pour dans le même contexte.
L’IMPÉRATIF DE SOUVERAINETÉ
Que ces masques soient utiles ou non, la crise nous a rappelé comme on est dépourvu lorsque les importations espérées font défaut, pour la raison non anticipée que ceux sur lesquels on comptait sont confrontés à la même crise.
A-t-on d’ailleurs mesuré à sa juste valeur la qualité de notre agriculture dont le solde export se réduit chaque année mais qui nous met encore à l’abri de la faim ?
Le Chef de l’État a manifesté son aspiration à renforcer notre souveraineté.
Cette souveraineté nous est explicitement garantie en matière d’énergie par le 2èmeparagraphe de l’article 194 du Traité de Lisbonne.
Or, force est de constater que la transition énergétique nous mène au contraire vers une mutualisation des problèmes de l’intermittence par des interconnexions toujours plus denses et plus lointaines vers des pays de moins en moins stables et que l’érosion des moyens pilotables européens, pour faible qu’elle soit, menace déjà la sécurité de tous.
Le gestionnaire de ce réseau Entsoe a montré, dans son Winter Outlook 2019/2020 [7],qu’en cas d’hiver rigoureux, c’est presque la moitié des 43 pays connectés à l’Entsoe qui dépendraient de leurs importations pour leur sécurité électrique. Dans cette prévision, la France, notamment, aurait pu connaître alors un déficit d’approvisionnement, importations comprises, lors de la 2ème et 3ème semaine de janvier, c’est-à-dire en même temps que l’Allemagne.
France et Allemagne sont respectivement 1er et 2ème exportateur mondial d’électricité (2018) [8]. Le spectre de la pénurie étant d’autant plus crédible qu’en aout 2018, un rapport de la Fédération allemande de l’énergie [9] alertait sur la dangereuse érosion des moyens de production électrique pilotables en Europe, et que 2 mois plus tard les 10 principaux acteurs européens de l’énergie signaient un appel commun [10] sur la sécurité d’approvisionnement qui envisageait la fin de la solidarité européenne en cas de pénurie.
Un changement climatique ne manquerait pas de bouleverser ce difficile équilibre [11], tant par son impact sur la consommation que sur la résilience du réseau ou la production des énergies liées aux conditions météorologiques.
121 MILLIARDS POUR LE SOUTIEN DES ENR
Pour tenter de relancer notre économie après la mise au chômage partiel de plus de 9 millions de salariés, Bruno Lemaire vient d’annoncer un plan de soutien de 110 milliards d’euros. Pour comparaison, cette somme, jugée colossale pour notre budget, n’atteint même pas celle des 121 milliards [12] que nos enfants devront finir de payer jusqu’en 2046 pour le seul soutien des contrats d’énergies renouvelables électriques passés avant 2018. La Cour des Comptes, qui donne ce chiffre, considère que les conséquences financières de cette politique ont été mal évaluées.
C’est la raison pour laquelle il semble déraisonnable de confondre objectifs et moyens en tendant vers des parts arbitraires d’énergie renouvelable sans mesurer en même temps les avantages qui en sont attendus, ni en termes de risque, ni en termes de coûts, ni, bien sûr en termes d’émission de CO2 puisque notre parc électrique n’en émet déjà pas [12]. Mais pire encore, sans même connaître encore les technologies qui permettraient de gérer l’intermittence de production des EnR, si l’optimisme nous portait à croire qu’elles permettent de réduire tant soit peu la capacité de notre parc de production pilotable.
« Nous sommes à l’aube d’une révolution dont on ne connaît pas encore le point d’atterrissage » aurait déclaré Nicolas Hulot [13], alors ministre de la Transition écologique en mars 2018. Les progrès vertigineux des technologies lui donnent assurément raison.
Mais en matière de sécurité énergétique la crise que nous traversons doit nous faire prendre la mesure du risque d’un tel rendez-vous délibéré en terre inconnue.
Souveraineté et clairvoyance sont les conditions indissociables de notre sécurité.
Les crises en révèlent le prix à payer.
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